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Chronique

Pourquoi le marteau du 49-3 est un outil indispensable

Le recours du gouvernement à l'article 49-3 pour faire passer la loi Macron a provoqué un tollé. Pourtant, cet article de la Constitution a été conçu pour ce genre de situation. Sans lui, la République risque de boiter.

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Par Jean-Marc Vittori

Publié le 24 févr. 2015 à 01:01

Un éclair a foudroyé l'Assemblée nationale. Pour la première fois depuis près d'une décennie, un gouvernement a osé dégainer l'article 49-3 de la Constitution, qui permet de faire adopter un texte sans vote des députés. Il a ainsi fait passer en force la loi Macron. La machine à commentaires s'est aussitôt emballée. Se vantant de ne jamais avoir utilisé cet outil, l'ancien président Nicolas Sarkozy a sorti le bazooka : preuve de faiblesse, mesure disciplinaire, conséquences des mensonges de Hollande... Et si ce fameux article 49-3 était au contraire une béquille indispensable à la Ve République ?

Rappelons d'abord comment cet outil étrange est arrivé dans notre Loi fondamentale. Sous la IVe République, les gouvernements tombaient comme des mouches sur des motions de confiance mal posées, qui engendraient de sombres tractations au Palais-Bourbon. Félix Gaillard, le dernier président du Conseil de la IVe, avait proposé, début 1958, une loi pour remplacer ce dispositif par des motions de censure. Les auteurs de la Ve République ont repris l'idée. Le plus connu d'entre eux, Michel Debré, l'a justifié fin 1958 : « L'expérience a conduit à prévoir, en outre, une disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manoeuvres, le vote d'un texte indispensable. » Autrement dit, le 49-3 a été conçu très précisément pour le genre de cas de figure où il a été employé la semaine dernière. Les constituants avaient été clairvoyants.

Ils ont bien sûr été critiqués. Dans son livre « Le Coup d'Etat permanent » publié en 1964, François Mitterrand dressait un constat implacable de la pratique très personnelle du pouvoir par Charles de Gaulle, avec une Constitution sur mesure. A propos de l'instabilité de la IVe République, il écrit : « La condamner n'oblige pas à vanter les mérites d'une réforme qui a pallié la crise chronique d'autorité en organisant la toute-puissance d'une autorité abusive », une autorité qui court-circuite le Parlement. Le 49-3 est l'un des attributs de cette puissance, de ce « parlementarisme rationalisé » comme l'appellent les politologues. Mais devenu François Ier de la Ve République, Mitterrand se fait très bien à ce costume qu'il disait taillé pour un autre. François II de Hollande marche dans ses traces. Lui qui avait dénoncé le 49-3 comme « une brutalité » et un « déni de démocratie » en 2006 laisse sans états d'âme son Premier ministre s'en servir neuf ans plus tard. En 2008, un certain Manuel Valls estimait pourtant qu'il fallait en réduire le champ...

C'est que cet outil violent, ce marteau institutionnel, permet de débloquer des situations, surtout lorsque la majorité est courte et donc fragile. A Matignon, Michel Debré s'en était servi à quatre reprises entre 1958 et 1962. Raymond Barre, lui, l'a employé à huit reprises à la fin des années 1970, en cascade, quand les frondeurs de l'époque étaient menés à l'Assemblée par... Jacques Chirac. L'ancien Premier ministre s'en était expliqué en 1998 : « C 'est une disposition essentielle de la Constitution car en France les majorités sont composites [...]. Ce que les gens ne comprennent pas, c'est que le 49-3 n'est pas du tout utilisé contre l'opposition mais il est utilisé par le gouvernement pour rappeler à la discipline sa majorité. » Michel Rocard, à qui il manquait 14 députés à l'Assemblée pour avoir la majorité absolue, a recouru au 49-3 à vingt-huit reprises.

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Dans le présidentialisme instauré par la Ve République, les députés, à responsabilité limitée, sont facilement soumis à la tentation de la rébellion. Ils ne craignent pas grand-chose, si ce n'est la perspective de ne pas avoir l'investiture du parti pour les prochaines législatives. Dès lors, le marteau du 49-3 est un instrument essentiel pour faire passer les textes qui changent vraiment la donne. Si Nicolas Sarkozy ne s'en est pas servi, c'est parce qu'il avait une large majorité... mais aussi, peut-être, parce qu'il n'a mené aucune réforme profonde.

L'analyse des usages du 49-3 donne une autre explication de son utilité. Il a surtout servi pour des lois économiques (privatisations, statut de France Télécom et de Renault...) et des lois qui touchent aux pouvoirs locaux - concernant donc directement les élus. C'est donc un outil qui permet de contourner le clientélisme des députés - vis-à-vis de leurs électeurs ou de leurs propres intérêts. C'est aussi un palliatif de leur méconnaissance des rouages économiques.

L'article 49-3 est donc un marteau précieux dans les mains du gouvernement. Sauf que Nicolas Sarkozy a singulièrement réduit sa portée avec sa réforme de 2008. Désormais, l'exécutif peut l'employer une seule fois par session parlementaire (hormis lois de finances et de financement de la Sécu). Ce changement mineur pouvait apparaître souhaitable pour rééquilibrer les pouvoirs. Il risque en réalité de dérégler la mécanique de précision qu'est la Constitution de la Ve République. Sauf à convoquer session extraordinaire sur session extraordinaire, un gouvernement à courte majorité aura désormais un mal fou à faire passer de vraies réformes, celles qui sont capables de mobiliser des frondeurs de tout poil. C'est particulièrement vrai pour l'équipe au pouvoir, alors que l'Assemblée actuelle fait penser à la remarque de François Mitterrand : « Je ne comprends pas comment l'avion socialiste peut voler alors qu'il y a tant d'ailes gauches, et pas une seule aile droite ! » Si le 49-3 est un marteau, c'est aussi une béquille. Sans lui, la République risque de boiter.

Jean-Marc Vittori

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