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Arabie saoudite : une avancée de façade pour les droits des femmes

Voilà un peu plus d’un an que les Saoudiennes sont autorisées à conduire. Mais la levée de certaines interdictions pour les femmes n’a constitué un progrès qu’en apparence, camouflant une réalité répressive et toujours peu respectueuse de leurs droits
Une Saoudienne au volant de sa voiture à Riyad, en juin 2018, alors que l’Arabie saoudite a levé l’interdiction faite aux femmes de conduire (AFP/Fayez Nureldine)
Une Saoudienne au volant de sa voiture à Riyad, en juin 2018, alors que l’Arabie saoudite a levé l’interdiction faite aux femmes de conduire (AFP/Fayez Nureldine)

La libération de l’éminente militante pour les droits humains et les droits des femmes en Arabie saoudite Loujain al-Hathloul, en février dernier, ainsi que l’annonce de nombreuses réformes économiques et sociales par le prince Mohammed ben Salmane dans le cadre du projet Vision 2030 avaient laissé entrevoir la possibilité pour l’Arabie saoudite d’avancer vers un État respectueux et garant des droits humains.

Pourtant, il semblerait que l’annonce de ces réformes, notamment la levée de certaines interdictions pour les femmes, n’ait constitué que des mesures de façade, camouflant une réalité répressive et toujours peu respectueuse des droits des femmes et des droits humains en général.

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Ainsi, des mesures telles que l’accès des femmes aux stades ou le droit de conduire, prises en 2017, ont eu un écho international tant elles paraissaient révolutionnaires pour un pays dont l’image, notamment en matière de droits humains, est très ternie, en particulier depuis le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi.

Ces légers progrès ont été largement salués : le président américain de l’époque Donald Trump les a qualifiés d’« avancée positive » tandis que le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a évoqué un « pas important dans la bonne direction ».

Cet engouement de la part de la communauté internationale s’était d’ailleurs illustré quelques années avant, lorsque l’Arabie saoudite avait été élue au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, en 2013 puis en 2016, mais aussi en 2017, quand cette dernière avait été désignée membre de la Commission de la condition de la femme.

Les ONG de défense des droits humains, quant à elles, ont largement dénoncé l’intégration du royaume saoudien à ces organes, en raison du fossé qui sépare la situation des droits humains dans le pays et les valeurs et principes qu’entendent défendre les organes onusiens.

Citoyennes de seconde zone

Les différentes réformes entreprises semblent alors s’inscrire dans une volonté de redorer l’image de l’Arabie saoudite et inquiètent les spécialistes, qui craignent que le prince héritier ne cherche uniquement à travers ces projets « à soigner son image de réformateur » auprès de la communauté internationale mais aussi des élites libérales du pays et de sa population, dont il a encore besoin pour consolider son pouvoir.

La participation de l’Arabie saoudite au sein de ce type d’organes onusiens a suscité de nombreuses polémiques tant elle mettait en exergue les contradictions du royaume, s’affichant comme soucieux des droits humains à l’international mais toujours très répressif au niveau interne.

En effet, les dernières mesures prises en faveur du droit des femmes cachent une réalité tout autre et un bilan très médiocre dans le domaine du respect des droits fondamentaux, tant à l’intérieur du pays qu’au niveau régional.

Les mesures récentes prises par l’Arabie saoudite en faveur d’une certaine émancipation des femmes n’ont pas radicalement changé le quotidien des Saoudiennes

Ainsi, il est important de rappeler le rôle crucial que joue l’Arabie saoudite dans la région et particulièrement dans le conflit yéménite, au sein duquel elle s’illustre comme principal auteur de violations des droits humains.

D’autre part, et malgré les effets d’annonce, l’Arabie saoudite maintient une politique répressive à l’égard des défenseurs des droits humains et de nombreuses restrictions à l’égard des femmes. Régi par la charia, la loi islamique, et pratiquant une forme stricte de l’islam sunnite, le wahhabisme, le royaume d’Arabie saoudite place ces préceptes religieux au-dessus de toutes les lois, y compris du droit international.

Il a notamment émis une réserve générale concernant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) qui a été jugée par le Comité de la Convention comme étant « contraire à l’objet et au but de la Convention ».

Les mesures récentes prises par l’Arabie saoudite en faveur d’une certaine émancipation des femmes sont apparues très tardivement en comparaison au reste du monde (l’Arabie saoudite est l’un des derniers pays à avoir accordé le droit de conduire aux femmes ), et elles n’ont pas radicalement changé le quotidien des Saoudiennes, toujours reléguées au rang de citoyennes de seconde zone.

Le système qui prévaut depuis des années en Arabie saoudite, dit de tutelle masculine, est le principal exemple. Celui-ci consiste à faire des femmes des mineures éternelles, alors que l’Arabie saoudite n’a pas défini d’âge légal de majorité pour les femmes, nécessitant l’approbation d’un tuteur masculin pour la moindre de leurs actions du quotidien.

L’Arabie saoudite a assoupli les restrictions de voyage pour les femmes, permettant à certaines d’obtenir un passeport sans demander l’approbation de leurs « tuteurs » (AFP/Fayez Nureldine)
L’Arabie saoudite a assoupli les restrictions de voyage pour les femmes, permettant à certaines d’obtenir un passeport sans demander l’approbation de leurs « tuteurs » (AFP/Fayez Nureldine)

Si ce domaine a également vu apparaître ces dernières années des réformes, permettant notamment aux femmes de voyager seules ou d’obtenir un passeport sans avoir besoin de l’autorisation d’un tuteur, de nombreuses restrictions ont été maintenues.

En effet, le royaume n’a, par exemple, pas mis fin au taghayyub, qui permet aux tuteurs masculins de ramener de force une femme à son domicile.

Le système de tutelle masculine n’est en réalité pas prévu par la législation saoudienne et semble plutôt relever de pratiques coutumières et culturelles liées au wahhabisme.

Pour cette raison, et malgré des réformes, l’accord du tuteur masculin demeure exigé dans certaines institutions, notamment dans les prisons, où les femmes ne peuvent être libérées qu’avec l’accord d’un tuteur, ou encore dans le cadre du mariage, où l’autorisation masculine est également requise.

« Écraser toutes les formes de dissidence »

L’oppression des femmes en Arabie saoudite est plus importante encore quand il s’agit de militantes des droits humains, dont de nombreuses sont encore emprisonnées à ce jour en raison de leur militantisme pacifique.

La libération sous condition de la figure féminine la plus connue d’entre elles, Loujain-al Hathloul, connue principalement pour avoir fait campagne contre l’interdiction de conduire pour les femmes et condamnée en 2018 à cinq ans d’emprisonnement en vertu d’une loi antiterroriste, a été saluée par de nombreuses ONG qui réclamaient la libération de la militante depuis de nombreuses années.

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Victime de torture et de violences sexuelles lors de sa détention, cette dernière a obtenu sa libération conditionnelle le 11 février 2021. Pourtant, un mois après sa sortie, un tribunal a confirmé en appel la peine de cinq ans d’emprisonnement, dont trois ans en liberté conditionnelle assortis de cinq ans d’interdiction de voyager et d’une interdiction d’utiliser ses réseaux sociaux.

Cette confirmation du jugement témoigne une fois de plus de l’impunité dont bénéficient les dirigeants saoudiens mais également, comme l’a exprimé l’ONG Amnesty International dans un communiqué, « de l’intention de l’Arabie saoudite de continuer à écraser toutes les formes de dissidence à l’intérieur du pays ».

En effet, et malgré des tentatives de libéralisation qui ne semblent finalement qu’avoir un objectif de communication, l’Arabie saoudite maintient une politique répressive à l’égard des militants des droits humains et conserve un système oppressif et irrespectueux des droits des femmes, permis par son maintien de la primauté de la loi islamique sur tout autre droit, y compris le droit international.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Léa Luszez est stagiaire chargée de recherches pour l’ONG Salam for Democracy and Human Rights, étudiante en master Europe et Affaires mondiales à Sciences Po Rennes, et future étudiante en M2 Droits de l’homme et Droit humanitaire à l’université Paris 2 Panthéon-Assas.
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