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« Contraints de ne pas diffuser nos noms » : des érudits saoudiens réclament le départ de MBS

Selon un groupe anonyme affirmant parler au nom d’érudits opposés aux politiques gouvernementales saoudiennes, le prince héritier Mohammed ben Salmane doit être tenu responsable de l’assassinat présumé de Jamal Khashoggi
Mohammed ben Salmane fait l’objet d’une surveillance de plus en plus étroite suite à l’assassinat présumé de Jamal Khashoggi (AFP)

Un nouveau groupe affirmant parler au nom d’érudits saoudiens opposés au programme de réformes d’« occidentalisation » initié par le gouvernement saoudien a réclamé la destitution du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) suite à la disparition et à l’assassinat présumé du journaliste Jamal Khashoggi.

Dans des communiqués publiés jeudi dernier sur Twitter, l’Association des érudits saoudiens a accusé Mohammed ben Salmane d’avoir assassiné Khashoggi d’une manière « horrible » qui « va à l’encontre de l’éthique et des normes humaines ».

https://twitter.com/SaudiOlamaa/status/1052881263764402177?ref_src=twsrc%5Etfw

Traduction : « Nous exhortons ceux qui ont la solution à se tourner vers ceux qui sont compétents, ceux qui pensent que le bien réside dans l’intérêt du peuple et du pays, dans la réparation du déséquilibre, dans la lutte contre la corruption et dans la consolidation des valeurs islamiques au sein de la société, et nous réclamons la libération en urgence des érudits, des prédicateurs et des réformateurs détenus. »

L’Arabie saoudite a été confrontée à « des crises et des problèmes » en raison « des injustices et des politiques iniques dont MBS est responsable », a précisé le communiqué.

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Citant les arrestations « d’érudits, de prédicateurs et d’auteurs religieux », le communiqué a reproché à Mohammed ben Salmane de « répandre la corruption sociale et administrative à cause de son incompétence et de gaspiller l’argent public sur des choses inutiles ».

« Et pour finir, l’injustice qu’il a causée en tuant le journaliste Jamal Khashoggi », a ajouté le communiqué.

Khashoggi est porté disparu depuis qu’il a pénétré dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le 2 octobre. Les enquêteurs turcs soupçonnent qu’il a été tué et démembré à l’intérieur du bâtiment.

Middle East Eye a rapporté qu’au moins sept gardes personnels de Mohammed ben Salmane figuraient parmi les quinze suspects saoudiens reliés à l’affaire par les enquêteurs turcs et que l’un d’entre eux aurait emmené une partie du corps de Khashoggi à Ryad.

Mohammed ben Salmane a « totalement nié avoir eu connaissance de ce qui s’est passé » à Istanbul, selon le président américain Donald Trump, qui s’est entretenu mardi avec le prince héritier.

« Contraints de ne pas diffuser nos noms »

L’Association des érudits saoudiens, qui publie des communiqués sur Twitter depuis fin septembre, affirmé représenter des érudits, des étudiants et des universitaires. Ce compte n’est pas vérifié.

« Tout le monde peut voir ce que notre pays traverse aujourd’hui », pouvait-on lire dans un communiqué antérieur publié par le groupe.

« Ce désordre envoie en prison ou réduit au silence tous ceux qui souhaitent donner des conseils. Nous avons donc été contraints de ne pas diffuser nos noms. »

Généralement, l’establishment religieux saoudien manifeste ouvertement son soutien en faveur de la famille royale, tandis que les responsables religieux critiques envers le gouvernement ont pour la plupart été réduits au silence dans le cadre d’une répression à grande échelle de la dissidence.

« Il est difficile de déterminer à quel point cela reflète l’establishment religieux, puisque toutes les personnalités majeures qui auraient pu être dans l’opposition semblent être emprisonnées »

– Usaama al-Azami, maître de conférences en études islamiques

Usaama al-Azami, maître de conférences en études islamiques au Markfield Institute of Higher Education, au Royaume-Uni, a indiqué à MEE qu’il était possible que de jeunes religieux dissidents en Arabie saoudite aient été à l’origine de l’Association des érudits saoudiens, mais que la majeure partie de la dissidence au sein du royaume avait déjà été écrasée.

« Il est difficile de déterminer à quel point cela reflète l’establishment religieux, puisque toutes les personnalités majeures qui auraient pu être dans l’opposition semblent être emprisonnées », a expliqué al-Azami.

Mohammed ben Salmane a fait la promotion d’une série de réformes sociales qui ont attiré l’attention des médias occidentaux, notamment en levant l’interdiction de longue date imposée à la conduite des femmes en Arabie saoudite et en autorisant l’ouverture des premiers cinémas, mais aussi en séduisant les investisseurs occidentaux à travers son programme Vision 2030 qui vise à mettre fin à la dépendance économique du royaume vis-à-vis du pétrole.

Néanmoins, il a également supervisé une répression généralisée des voix dissidentes ciblant des magnats du monde des affaires, des activistes de l’opposition, des membres de la famille royale et des religieux – progressistes et conservateurs – critiques envers la politique gouvernementale.

Le mois dernier, des procureurs saoudiens ont requis la peine de mort contre Awad al-Qarni, Ali al-Omari et Salman al-Awdah, trois ecclésiastiques de premier plan arrêtés l’an dernier. Les trois hommes auraient été arrêtés parce qu’ils ne soutenaient pas la politique de Mohammed ben Salmane à l’égard du voisin qatari, soumis à un blocus par l’Arabie saoudite et ses alliés depuis mai 2017.

Azami a toutefois précisé que de nombreux religieux moins connus avaient également été ciblés.

« Beaucoup d’acteurs moindres et beaucoup de gens qui n’ont vraiment rien à voir avec la politique mais qui avaient un soupçon infime d’indépendance ont fini en prison », a-t-il affirmé. 

Beaucoup ont également peur d’utiliser les réseaux sociaux pour critiquer le prince héritier, craignant que le gouvernement ne surveille l’activité en ligne, étroitement réglementée dans le royaume.

Si les autorités religieuses saoudiennes n’ont pas commenté la disparition de Khashoggi, Abdelaziz ben Abdallah Al ach-Cheikh, le grand mufti d’Arabie saoudite, a déclaré mardi que le pays était pris pour cible parce qu’il était envié pour sa « religion », sa « sécurité » et ses « bonnes actions ». 

Traduction : « Ce pays est envié pour sa religion, pour sa sécurité, son leadership, sa prospérité et ses bonnes actions, son unité. Que Dieu nous garde de la propagande trompeuse. »

Azami a indiqué à MEE qu’il restait à savoir si les déclarations publiées par l’Association des érudits saoudiens étaient révélatrices d’un niveau important d’opposition à Mohammed ben Salmane en Arabie saoudite. 

« Tant que nous ne découvrons pas qui ils sont, il sera peut-être difficile de déterminer s’il existe une véritable rébellion parmi les oulémas [responsables religieux de haut rang], car cette rébellion a été écrasée par Mohammed ben Salmane avant qu’elle ne décolle », a-t-il soutenu.

« Il est évident qu’il s’est fait beaucoup d’ennemis en consolidant son pouvoir de façon aussi impitoyable. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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